Essaie de me trouver, Winnipeg
Au volant, Charlie/Waldo nous emmène découvrir sa toile en forme de ville, Winnipeg. On dirait un jeune professionnel de retour d’une journée de travail. Sur le tableau de bord, une poupée Jésus hoche perpétuellement la tête. Par-delà la vitre, le blanc-grisâtre de cette fin d’hiver a cédé face à quelques rayons fragiles. Un soleil providentiel brille par intermittence sur les prairies avant de rebondir sur l’argenté des flaques de neige fondue.
Il fait presque beau.
« Les choses s’améliorent, mais je me rappelle un comique de passage qui disait que Winnipeg était grise, comme si elle était vue par un chien ! »
Pour éviter « les problèmes au boulot », Waldo (Charlie dans les éditions francophones des célèbres livres-jeux) préfère ne pas dévoiler sa véritable identité. Et si l’artiste de rue ne porte pas le chandail bicolore de la création de Martin Handford, ni son bonnet, il est, comme lui, présent au nez et à la barbe de la foule. Caché en plein jour.
Mais pourquoi donc choisir de détourner le personnage imaginaire de papier que les enfants se délectent à chercher des heures ?
« Waldo existe déjà, les gens comprennent d’emblée le concept et l’objectif. Une fois, deux, ils peuvent commencer à chercher dans la ville. Ils comprennent sans explications. »
L’étalement urbain de Winnipeg offre un vaste jardin où chercher ces œufs de Pâques : la cité siège sur une vaste portion de prairie. Les kilomètres de voies semblent croiser le fer jusqu’au tréfonds de cette ville de trains. Ici, les graffitis de toute l’Amérique du Nord défilent sur les rames dans un ballet permanent. Pour lui trouver une semblable en taille et en influence, il faudrait rouler une journée vers le sud et traverser une frontière. Je l’ai fait.
Les urbanistes disent parfois de la capitale du Manitoba qu’elle offre des perspectives économiques de villes de province, et des problèmes de mégalopoles. Winnipeg se dégentrifie, à rebours de la résurrection des centres-villes d’Amérique. Comme un écho canadien à la Rust Belt américaine et à ses villes en putréfaction. Mais ses vieux rêves continuent de tatouer les murs d’immeubles décrépits du centre-ville, ces « Ghost signs » délavés et omniprésents. Guy Maddin la surnommait la somnambule dans son très surréaliste « My Winnipeg ».
Le réveil viendra pour Charlie/Waldo d’un voyage en Australie et d’une rencontre avec l’art de rue, lui qui ne connaissait guère que le tag des gangs du North-End. « C’était partout », raconte-t-il, « mais à mon retour j’ai trouvé que cette culture-là manquait. Même les graffeurs* sont une poignée ici. »
Graffeurs et artistes de rue partagent une culture néo-urbaine, mais leurs finalités divergent, selon Waldo, qui ne se reconnaît pas dans l’aspect « territorial » des graffeurs. Lui, il se voit plutôt dans une démarche ludique.
« J’aime l’idée de créer ma propre chasse au trésor dans la ville, d’inciter les gens à chercher. » Et, quand ce père de famille annonce sur les réseaux sociaux qu’il part à la chasse aux Charlies le week-end avec ses enfants, Waldo exulte : « L’interaction avec le public est ma partie préférée. » Au détour d’une promenade, il pointe du doigt un tag de Jabba, l’omniprésent « vandale » de la ville, et s’admet un sens très aiguisé du détail. « J’essaie toujours d’accrocher mes Waldos là où va l’œil naturellement. Mais depuis quelque temps, ils disparaissent rapidement. Je ne sais pas trop si les propriétaires les enlèvent ou si les gens les volent. En réaction, j’en produis plus. » Il pose parfois même des pierres tombales aux œuvres disparues. Et, pour lutter contre la morosité de cet hiver interminable, l’artiste pose des gélules géantes d’ecstasy sculptées dans des extincteurs « à consommer en cas d’urgence ».
Waldo minimise son exposition à la rue et prépare en amont des œuvres qu’il pose avec précipitation – toujours sans témoins – avant de battre en retraite. Technique classique de guérilla dans une vendetta personnelle contre le gris-ocre de Winnipeg. « J’ai été grillé une seule fois : un jour, un type me court après, me coince dans ma voiture et me demande si c’est moi qui ai fait ça, si c’est moi Waldo. Je me suis dit : je suis cuit. Et là, le mec me parle de Jésus, de péché et de religion. » S’il ne se voit pas devenir un pro de l’art urbain comme Banksy, Charlie tente d’émuler une scène winnipegoise émergente, multiplie les prises de contacts avec d’autres plasticiens, propose de personnaliser des Waldos vierges et rêve de collectif urbain. « J’ai cet attachement viscéral à ma ville, il y a quelque chose de caché, l’écho de ce que nous étions et de ce que nous pourrions être. Winnipeg a un avenir, tout est encore possible ici. »
Photos tirées du compte Instagram de Waldo avec sa gracieuse autorisation. Tous droits réservés.