Asie,  Voyages

Chemin de traverse : Mae Hong Son

Mae Hong Son, 82 kilomètres.

La pluie me fouette bien le visage, et je suis trempé. Ça monte sec. Lacet sur lacet. Parfois je roule à 20 km/h et la bruine limite la visibilité. Arrivé au “point de vue panoramique”, on ne voit rien d’autre que l’intérieur d’un nuage. J’ai roulé deux heures pour faire 35 kilomètres. Le bout de mes doigts commence à friper. J’ai des gouttes dans les yeux.

La route continue à travers une forêt à flanc de montagne, sur une chaussée défoncée. Le temps automnal parisien est devenu une tempête. Des nids-de-poule géants criblent le bitume, et plusieurs éboulements de terrain réduisent la voie. Je fais une pause pour laisser passer l’orage qui gronde.

Je n’ai plus un centimètre carré de peau sèche. Mon visage ruisselle de pluie. Je ressens ce mauvais frisson lorsque j’arrive à Mae Hong Son, une bourgade de 5 000 habitants au fond d’une vallée encaissée. Il y a ce bar, genre pub, qui passe les Clash. Avec un tout petit panneau « Chambre à louer ». C’est dans mes prix (3,50 euros). La petite Birmane m’emmène dans une villa confortable à proximité et me file les clés. J’ai 100 m² pour moi tout seul, avec deux douches, une cuisine et trois chats.

La maison a un côté « vieille baraque retapée» avec un peu d’antiquaire fou : un fauteuil de dentiste sur la terrasse, un brasero dans la cuisine. Mais pas d’eau chaude. Je me douche en hurlant. J’ai l’impression d’être Jack London trouvant un âtre dans une maison en bois après une course dans le Grand Nord. La nuit, l’orage redouble de violence.

Le lendemain, je visite un temple avec vue sur la ville.

Une promenade aléatoire dans la campagne. Je tombe sur un barrage puis un village Karen. Les routes sont atroces avec des gués.

Je finis par voir un panneau « village Karen des femmes-girafes» et roule une bonne heure avant d’abandonner ma meule au bord de la route pour éviter de m’embourber. Le chemin sillonne encore deux bons kilomètres et j’arrive à un carrefour qui résume bien cette partie de la Thaïlande : A ma droite une barrière et un poste de garde d’où me lorgnent 3 soldats armés de M16 l’air mauvais. A ma gauche le village des Karens au long cou.

No, no, refugee camp, can’t go, can’t go. Go away. J’envisage un moment d’essayer de lui filer un bifeton pour aller voir et faire le reportage du siècle mais je crois que les rédacteurs en chef s’en foutent des birmans.

Alors je continue et parlemente un bon moment pour avoir une ristourne sur le « ticket culturel » qu’un type visiblement pthysique essaye de me revendre de son hamac. Le village « culturel » n’est qu’un alignement long de 100 mètres de baraques miséreuses et d’échoppes qui vendent de l’artisanat douteux, des bijoux avec étiquette made in China et des écharpes. Je traverse sans oser prendre de photo de gens (sauf une), par respect.

Et là devant une grand-mère au long cou je craque et je n’arrive pas à retenir mes larmes. Elle me regarde impassible tourner la tête et me sécher les yeux. Je pars du village légèrement nauséeux, remonte sur ma bécane, rentre à Mae Hong Son et me tape une cuite pour oublier. Dans le bar je rencontre un Hollandais bourré qui me parle de pots de vin sur des chantiers de dragage (nan pas de putes, de BTP, suivez un peu) et m’invite à manger du curry de sanglier sauvage (cherchez pas, c’est dég’). Il éclate de rire en parlant de Pai et explique : Ils essayent tellement d’être différents qu’ils se ressemblent tous là-bas. C’est des beaufs de 20 ans et le pire, c’est qu’ils se croient décalés. Sa copine en tailleur propret aux cheveux impeccablement brossés acquiesce.

Au matin je glisse suivant la pente hors de la ville en traversant une forêt parsemée de villages. L’un d’eux propose une source d’eau chaude qui semble abandonnée malgré un gazon impeccable. Des cabines avec baignoires servent de refuges aux araignées, et après avoir essayé de démarrer la pompe à eau soufrée pour remplir la mini piscine je quitte ce site fétide sans avoir eu d’eau chaude depuis mon départ. Dommage pour mon rhum carabiné.

Plus loin un chemin prometteur semble dans la brune serpenter avec pour seule mention, « station micro-onde » .

Le chemin raide mène à un village miséreux et boueux dans la brume où les cochons sauvages et les poulets circulent libre. On me regarde bizarrement alors je rebrousse chemin.

La pente est dure pour un scooter qui n’a pas de frein moteur et descend donc en roue libre, il me faut solliciter les freins en permanence, en risquant de déraper et de me vautrer vu l’état de la route. La hantise de perdre mes freins en peinte à 50 à l’heure me travaille.

Me voilà à la nuit tombé dans le village de Khun Yuam. Un marché dans un champ boueux sous la pluie.

Une route. A la sortie du bled je trouve un petit hôtel sympa pas cher. Je me gèle alors j’achète une veste de Nong chinois à enfiler par-dessus ma chemise. Avec mes grolles boueuses, mon rhum j’ai l’impression de revenir de Breiztek. Heureusement ya l’eau chaude et la douche chaude après 3 jours à me peler me fera un bien fou. La nuit deux coupure de courant me laissent seul dans le noir dans cet hotel vide. J’ouvre la fenêtre, rien, aucun lumière dehors et le ciel grisâtre masque les Etoiles.

Le patron de l’hôtel me conseille de ne pas suivre l’itinéraire touristique traditionnel mais plutôt de traverser le mont Doi Inthanon, le plus haut de Thailande. Je fais un long détour par un parc national pour voir une chute d’eau en remontant de nouveau vers les alpages, les conifères, la bruine et la mousse. L’ambiance fait trés X-file.

Les routes sont bourrées de barrages de police mais personne m’arrête jamais.

Le paysage ressemble désormais à une vallée suisse semée de champs de maïs. Les habitants me font signe de déjeuner avec eux à la sortie du village où j’ai hélas déjeuné. J’arrive enfin à Mae Chaem, une triste ville sans charme. Maso, je décide de pousser jusqu’au mont pour y louer un chalet. Mais la pluie se remet à tomber, je suis épuisé et la lueur des phares trace des maigres sillons dans la pénombre. Et la route est fermée à partir de 6 heures. Je me rabats donc vers le gite du parc national pour ce qui sera la pire nuit que j’ai eu en Asie.

La cabane est une grotte de pacotille salpêtrée genre motel pour Fred Flinstone. Humide. Moite. Froide. Room service et pneumonie. Le toit ne ferme pas totalement dans la salle de bain et il pleut dedans. Mon nez brule, coule, j’éternue. Alerte acariens. Pleins. Et peut-être un chat. Des chats même. Mon système nerveux parano se met en DEFCON-5 : attaque allergique totale. Des trucs me piquent, des moustiques bombardent mes flancs. Je me gratte dans les draps humides, me mouche, me frotte les yeux, en proie à une insurrection corporelle totale. Dehors la terrasse est balayée par une mauvaise bruine, mes vêtements sont humides. Impossible de dormir à la belle étoile, de reprendre la route.

Je suis fait comme un rat.

Le lendemain j’avale un café cul sec et me tire à 7 heures pétantes vers la civilisation avec des yeux explosé et un mal de crane. À peine le temps de visiter une chute d’eau. La troisième. La plus belle.

Et je rejoins en deux heures une nationale où je roule allégrement à 90 entre deux vols planés dus aux nids-de-poule. L’arrivée à Chiang Mai est rude, avec ses voitures qui déboitent complétement à l’arrache pour piler devant vous, ses mobs qui vous frôlent et l’occasionnel chien errant qui traverse. Enfin un vrai lit, des fringues propres (les miens puent à cause de l’humidité car jamais le temps n’a permis de les sécher), mes emails et la troisième saison de Six Feet Under. Ça fait du bien.

Si je recommencerais ? Bien sûr, je pars pour le triangle d’Or demain et l’autre frontière Birmane (celle qu’on peut traverser). Parait qu’ils vendent des kalashs sur les marchés. J’ai hâte de voir ça.

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